Plusieurs mois (années?) se sont écoulés depuis la sortie de CALLS, et il est désormais le temps pour moi de ramener cette excellente série sur le tapis en y évoquant aussi ma collaboration. En effet, et comme vous le savez peut-être déjà, il m’a été confié la tâche d’en créer la langue démoniaque : si vous ne l’avez pas entendue, je vous invite à vous retaper les 10 épisodes qui sont vraiment d’une tuerie sans nom, et si ma foi vous en avez un souvenir assez frais et que vous n’êtes pas sensible au spoil, je vous invite bien évidemment à lire la suite.

La série CALLS, pour rappel, a été réalisée par Timothée Hochet et produite par CANAL+ : composée de 10 épisodes subtilement reliés par un fil rouge, il s’agit d’une série audio à l’habillage graphique léger qui reprend tout ce qui avait fait le succès du pilote originellement diffusé sur YouTube. Je ne vais pas rappeler plus d’éléments ici, il existe tout un tas d’articles qui doivent surement en parler sur internet et ce de façon bien plus précise, critique ou passionnée, je vais donc abréger et passer directement à la suite.

Contexte de ma participation

Certes, s’il me faut éviter l’épilogue avant même d’avoir commencé cet article, il ne faudrait pas non plus en oublier de recontextualiser ma participation à ce projet.

Timothée Hochet, le réalisateur, m’a ainsi contacté par twitter après que l’on lui ait suggéré mon nom. Parfois, les choses se font aussi simplement. Je m’en souviens bien : j’étais en Haute-Marne et c’était l’anniversaire du débarquement en Normandie, ce qui nous place le 6 juin 2017. Il cherchait quelqu’un capable de créer une langue, une activité qui associe à la fois mon intérêt, mes compétences et ma passion. On a échangé, puis la production en a discuté avec mon Network, qui était Endemol Beyond à l’époque. Ils ont brièvemment négocié, les choses se sont faites rapidement. Lorsque j’ai embarqué dans ce projet comme idéolinguiste, c’est-à-dire comme «créateur de langue», je m’en souviens bien aussi : j’étais sur le quai de la gare de Neufchâteau, attendant mon train pour Strasbourg.

Et ce jour-là, j’étais plutôt content. Je l’ai déjà dit à maintes reprises, mais j’ai un profond respect pour les créateurs qui, par soucis de cohérence et par attachement à leur propre univers, n’en négligent aucun recoin. J’en ai même dédié une série de vidéos. Timothée Hochet est de ceux-là : bien que la langue n’y est qu’anecdotique, il la voulait crédible, il la voulait porteuse d’un sens caché qui ferait gagner son univers en vraisemblance et profondeur. Dans ce cas, les conditions de travail sont pour moi idéales.

Par ailleurs, cet article n’est jamais qu’une extension de ma vidéo sur le sujet, que vous pouvez bien évidemment retrouver sur ma chaine YouTube !

Le matériau de base

Le point central c’était ce mot : azazel. C’est le nom d’un Dieu qui apparait dans le Tanakh, la bible hébraïque, désignant un vieux démon qui vivrait dans le désert. Par ailleurs, Azazel (ou עזאזל en hébreu, عزازيل en arabe) a une étymologie débattue mais il serait lié au pays de Canaan, une région du proche orient, et on le retrouve finalement dans toutes les religions abrahamiques (christianisme, judaïsme, islam). Ainsi, il ne m’a pas fallu réfléchir longtemps avant de choisir mes inspirations premières pour la langue d’Azazel : les langues du proche et moyen-orient de l’antiquité, comme l’akkadien, l’hébreu, le phénicien ou l’arabe, et même du Proto-Indo-Européen.

Une autre contrainte et non des moindres, c’est bien évidemment l’acteur. Rapidement, celui-ci fut casté : Valentin Stoeffler, avec qui j’ai échangé par téléphone pour comprendre ses compétences linguistiques. Il parlait anglais et allemand, de quoi permettre un inventaire phonologique beaucoup plus large que celui du seul français et ce sans devoir lui apprendre à prononcer des sons ô combien étranges pour un francophone monolingue. Il fallait passer par là avant d’initier toute création : je commence toujours par les phonèmes, c’est-à-dire les «sons», et sans ces derniers il est impossible de mettre sur pattes le reste. Cette première étape étant tributaire des capacités phonologiques d’un acteur, l’entretien avec celui-ci devenait par la force des choses le point de départ de toute le reste.

Pour finir, et avant de me lancer pour de bon, je reçois les scripts des épisodes sur lesquels je dois travailler : ce sont les épisodes 1, 4, 8 et 9. Le gros du travail est sur l’épisode 4, où on a de véritables dialogues en langue démoniaque. Dans cet épisode, on entend à travers le babyphone des démons communiquer et influencer Joseph pour le manipuler. Sur l’épisode 1, j’ai juste un mot à traduire, et sur les épisodes 8 et 9 je dois écrire une incantation religieuse que l’on entend assez bien. Par ailleurs, j’ai aussi participé à la relecture du script de cet épisode où quelques notions linguistiques sont abordées par un personnage secondaire en contact avec le protagoniste principal.

Les premières pistes

A ce stade, j’ai déjà une idée assez précise de la direction où je veux aller. Dans les choses que je veux à tout prix inclure, on peut trouver :

  • Une phonologie avec beaucoup de consonnes sonores (/b, d, g/ notamment) et fricatives (/v, z, ĝ/). Celles-ci donneront à la langue un aspect soupeux, un goût de mélasse : impossible de bien découper les mots, impossible de se détacher de cette impression de flot continu sonore. Par dessus le tout, des consonnes gutturales pour donner un côté plus cryptique, en évoquant l’arabe par son système de voyelles basique : trois voyelles fortes, bien distinctes.
  • Une syntaxe très atypique, avec un ordre de type Objet-Verbe-Sujet (dit «OVS»), flexibilisé par l’usage de cas grammaticaux (ce que beaucoup appellent des «déclinaisons»).
  • Des cas grammaticaux, donc, assez riches. A ce stade de la création, je n’en ai pas la liste complète en tête, mais je sais que j’en veux plus que la moyenne européenne, donc entre 5 et 10.
  • Un système de nombre plus complexe qu’actuellement dans la plupart des langues occidentales : je rajoute, à côté du singulier et du pluriel, un duel (le pluriel des paires), qui existait en Proto-Indo-Européen notamment, et que l’on trouve encore dans quelques-unes de ses langues filles comme le Slovène.
  • Une distinction nette dans la grammaire entre les animés (êtres vivants), les non-animés (les objets) et les êtres surnaturels.
  • Un système verbal simple, basé sur des affixes (préfixes, suffixes…).
  • Un lexique diversifié inspiré des langues de l’antiquité de la région, évidemment, mais aussi avec du Proto-Indo-Européen qui était parlé dans les steppes pontiques. L’idée est de construire un pont entre toutes ces langues pour sous-entendre une potentielle connexion ancienne mais oubliée.

Bien sûr, tout cela va bouger lorsqu’il faudra coucher sur le papier des mots et des phrases, lorsque tout cela sera à l’épreuve de la traduction qui fait office de crashtest. Mais avec ces grandes lignes, on sait vers quelle direction aller ! Je travaille encore sur papier à ce moment précis, comme toujours. Je griffonne des systèmes phonologiques, les essayant en reconstituant quelques mots que je prononce à voix haute pour en tester le rendu, je crée mes premières racines pour voir comment articuler leurs flexions, c’est-à-dire la conjugaison pour les verbes et la déclinaison pour les substantifs.

Parfois, et même si je n’en ai pas le souvenir précis pour la langue de CALLS, l’un des mots nous frappe si fort qu’on décide de construire autour, ou bien d’en faire un archaïsme s’il ne rentre plus dans le moule. J’ai pas mal de techniques dans mon sac pour conserver à tout prix ce dont je suis particulièrement fier, mais je n’en ai pas particulièrement eu besoin ici.

Vous le découvrirez par la suite, mais tout a finalement été cousu de fil en aiguille sans grand obstacle et sans grande révision. Bien sûr, cela ne veut pas dire que rien n’a été retiré ni rajouté en cours de route, au contraire, mais les modifications n’ont jamais remis en cause la structure profonde que je voulais pour l’azazilúŝ.

Première étape : une bonne phonologie

Pour la langue de CALLS, c’est certainement ce sur quoi j’ai le plus travaillé. La langue allait être discrète, et elle devait véhiculer un message non pas par ses mots, mais par les sons qu’elle emploie. Le public allait ressentir une impression, une sensation : pas de sous-titres, pas de grammaire analysable pour eux. C’est peut-être la partie la plus détaillée de l’article, et si j’ai essayé de le vulgariser au maximum, désolé par avance si tout n’est pas très compréhensible. Accrochez-vous !

Les voyelles : ou comment faire compliqué avec des choses pourtant très simples

Avant d’attaquer le vif du sujet, il faut savoir que les idéolinguistes se mettent parfois des contraintes. En réalité, ces contraintes ne sont pas vraiment différentes des mots fétiches que l’on veut à tout prix garder : il faut construire autour tout en justifiant leur existence. Dans mon cas, ma contrainte était le mot Azazel lui-même : c’était le seul mot de la langue dont l’existence était imposée de fait. Bien que cela soit un nom propre, ce qui aurait pu justifier qu’il ne fonctionne pas comme les autres mots de la langue, je voulais qu’il s’inscrive de façon cohérente dans la grammaire.

à l’avantà l’arrièreferméemoyenneouverteiyɨɯʉueaøɛœoɔɒɑɤʌɶæɜɞɪ ʏʊəɘɵɐ
Triangle vocalique représentant toutes les voyelles orales que peut prononcer l’être humain, avec les symboles de l’Alphabet Phonétique International.

Mais il se trouve que je voulais un système vocalique minimal : trois voyelles maximum, les mêmes que l’arabe. Cela nous donne des /a/, des /u/ et des /i/, mais pas de /e/ !

Et voilà le premier défi créatif : comment expliquer le /e/ que l’on trouve dans le mot azazel? Pas le choix : il fallait trouver un subterfuge. L’enjeu était de conserver malgré tout ce système de trois voyelles simples et bien identifiables, qui ont la particularité d’être très courantes dans les langues du monde mais aussi (et surtout) d’être chacune opposée aux autres dans la bouche. En effet, si vous prenez un triangle vocalique représentant toutes les voyelles orales prononçables par l’être humain (image ci-contre), vous verrez le /i/ en haut à gauche (voyelle le plus en avant dans la bouche, avec une fermeture maximale, prononcées sans arrondir les lèvres), le /u/ en haut à droite (voyelle le plus en arrière dans la bouche, avec une fermeture maximale, prononcées en arrondissant les lèvres), et le /a/ tout en bas (voyelle avec une fermeture minimale de la bouche, et dans le cas de l’azazilúŝ, peu importe qu’elle soit en avant ou en arrière, arrondie ou non).

Le cas de la voyelle /e/ est assez libre : on peut soit le prononcer [e] comme dans été ou [ɛ] comme dans lait, le fait est que beaucoup de francophones ne font même plus la différence. Alors, je n’ai pas tranché ! En revanche, j’ai décidé de l’inclure dans un nouveau trio de voyelles dépendant du premier. Ainsi, j’ai fait du /e/ une variante inaccentuée du /i/, et j’ai rajouté le /o/ comme variante inaccentuée du /u/ et le /ə/ comme variante inaccentuée du /a/. Si ce dernier caractère, le <ə>, vous parait étrange, il note ce qu’on appelle un schwa : c’est une voyelle atone, comme celle qu’on a dans je ou le, ou alors dans évènement ou effectivement si vous êtes du sud. En azazilúš, ce sont est noté avec le caractère <ë>.

Pour bien comprendre, on a donc désormais trois paires de voyelles : i et e, u et o, a et ə. Ces paires fonctionnent ensemble, et l’une des parties n’est jamais qu’une variation de l’autre en fonction d’un contexte précis. Ici, ce contexte c’est l’accent, dont nous parlerons plus tard. Pour résumer, retenez seulement que e, o et ə sont respectivement des mutations de i, u et a.

Ces mutations sont facilement explicables : si vous reprenez le triangle vocalique, constatez que le e est juste en dessous du i, et le o juste en dessous du u. Dans votre bouche, cela signifie que pour passer de l’un à l’autre, vous devez juste avoir une ouverture moyenne plutôt qu’une ouverture minimale, et ce en conservant tous les autres paramètres d’articulation. Pour le passage du a à ə, c’est la même logique : vous devez avoir une ouverture moyenne plutôt que d’avoir une ouverture maximale. En partant du principe que la caractéristique principale du a en azazilúŝ est l’ouverture, peu importe qu’il soit prononcé en avant ou en arrière de la bouche : je suis parti du principe qu’il était donc entre les deux, au milieu donc, de sorte à ce que sa variante inaccentuée le soit aussi, ce qui nous fait tomber sur le ə qui est une voyelle prononcé au centre de la bouche.

Par ailleurs, notez que je voulais à la base un trio /i, a, u/ parce que c’est celui que l’on trouve en arabe notamment. Je ne l’ai pas fait exprès, mais devinez quoi : ces voyelles ont évolué pour donner en arabe nabatéen primitif (celui qui était parlé au Sinaï et en Jordanie durant l’antiquité, notamment sous l’empire romain), un trio /e, a, o/ en dernière syllabe inaccentuée. C’est pas exactement ça, mais c’est vraiment pas loin et c’est la même logique.

à l'avantà l'arrièreferméecentraleouverte/i//u//a//e//o//ə/
Le système vocalique de l’azazilúŝ.

Si on prend désormais le triangle vocalique de l’azazilúŝ, remarquez à quel point c’est harmonieux ! Nous avons d’une part nos voyelles primaires, c’est-à-dire i, a et u, qui forment un trio bien identifiable aux positions extrêmes du triangle. Chacune des voyelles du trio a une variante inaccentuée, qui forment un trio secondaire bien aligné au centre de la bouche, c’est-à-dire e, ə, o. C’est parfait, dans la mesure ou la centralisation est une mutation phonétique très courante qui se prête particulièrement bien aux voyelles inaccentuées.

La question est désormais de savoir où se trouvent les voyelles inaccentuées dans un mot. Si on reprend le mot Azazel, justement, on peut en déduire plusieurs règles avec ce que l’on vient de définir. Comme une voyelle inaccentuée ne peut porter l’accent du mot, et que le mot Azazel termine par un e dont on a postulé qu’il est forcément inaccentué (c’est la variante inaccentuée du i, si vous avez suivi), cela nous force à mettre l’accent sur la première ou deuxième syllabe du mot. Dans ce cas précis, j’ai décidé que le mot Azazel serait accentué sur la première syllabe, et ce pour qu’il soit d’autant plus marquant à l’oral et bien identifiable. Cependant, je ne voulais pas que cette place d’accent soit systématique pour les autres mots.

En revanche, pour ne pas que la série /e, o, ə/ soit trop présente et pour maintenir l’hégémonie du trio /i, u, a/ dont elle dépend, j’ai décidé d’établir mes premières règles :

  1. L’accent d’un mot est toujours sur la dernière syllabe, hormis pour les noms de la classe des immortels qui ont leur accent sur la première syllabe (comprenez ici : les «démons», et Azazel en est un !).
  2. L’accent d’un mot peut bouger pour des raisons grammaticales, comme un changement de cas (une «déclinaison») ou un changement de temps (une «conjugaison»)
  3. Lorsque l’accent d’un mot se retrouve sur l’avant-dernière syllabe, la dernière voyelle du mot est centralisée.

Cela permet une grande souplesse dans la langue sur le plan rythmique, tout en conservant un accent essentiellement final, comme en français, pour éviter que cela soit trop compliqué pour notre acteur.

Ce que j’ai à ce moment-là dans ma tête, c’est surtout l’incantation des épisodes 8 et 9 : le rythme y sera très important pour le rendu final. Je donne à la langue la flexibilité nécessaire pour être assez libre lorsqu’il me faudra bosser dessus. Par ailleurs, l’accent d’un mot à l’oral se note graphiquement avec un accent aigu, une convention graphique habituelle en linguistique, et n’apparait que lorsque l’accent n’est pas où on l’attendrait (comme en italien), d’où l’accent au dessus du ú dans azazilúŝ. D’ailleurs, notez ici que ce mot dérivé de Azazel possède un i à la place du e, justement parce que l’accent est ici sur la dernière syllabe : si vous vous rappelez, nous avions expliqué plus tôt que i et e sont la variation d’une même paire, e étant la variante inaccentuée de i. Lorsque le e est situé en amont de l’accent, ne pouvant être désaccentué, la forme en i s’impose.

Je l’ai déjà dit plus haut, mais en azazilúŝ, le son /ə/ est noté <ë>, ce qui est beaucoup plus facile à taper lorsque l’on a un clavier azerty traditionnel. De toute façon, il apparait finalement assez peu dans la version finale puisque le son /a/ est très rare en fin de mot (et encore une fois, au risque de répéter, ə est la variante inaccentuée de a !).

Les consonnes : où comment continuer à faire compliqué avec des choses toujours très simples

Pour rappel, je voulais ici à tout prix avoir des consonnes fricatives (avec flux d’air ininterrompu) et sonores (avec les cordes vocales qui vibrent) au premier plan, et lorsque l’on croise ces deux paramètres, on en obtient déjà quelques-unes : /v/ (voiture), /z/ (zèbre), /ʒ/ (jardin, garage). Il va s’en dire qu’elles devaient être au premier plan.

Je voulais ici à tout prix avoir des consonnes fricatives et sonores au premier plan

À cela, j’ai rajouté d’autres consonnes qui possèdent au moins l’un des deux paramètres. J’ai donc mis des fricatives sourdes (les mêmes que les précédentes, sans les cordes vocales qui vibrent) pour obtenir /f/ (trèfle), /s/ (sucre) et /ʃ/ (chant) auquel j’ai rajouté un /h/ que l’on trouve en anglais ou en allemand (manhattan, heißen) et un /x/ que l’on trouve en allemand ou en espagnol (Bach, jota) ; j’ai aussi mis des occlusives sonores (les mêmes que les précédentes, encore une fois, mais avec un flux d’air interrompu plutôt qu’ininterrompu) pour obtenir /b/ (bonbon), /d/ (dortoir) et /g/ (Guimgamp), puis les résonnantes /r, l, m, n/.

Pour finir, j’y ai mis les deux approximantes que sont /w/ (oui, Wallace) et le /j/ (goyave, hiatus, travailler), et j’ai rajouté les correspondantes sourdes aux consonnes /b, d, g/ soit /p, t, k/. À l’origine, j’avais même mis une consonne /gʷ/ (linguistique, guano) que j’opposais à /kʷ/ (couiner, coin, quad), mais je ne les ai pas conservées dans la version finale.

Voilà, on a de quoi faire ! On a à notre disposition 17 consonnes, de quoi faire des folies. Maintenant, il faut trier tout cela dans un tableau.

Pour l’organiser de manière claire, je vais l’organiser en mettant en colonnes le mode d’articulation, c’est-à-dire la façon dont s’écouler le flux d’air dans la bouche : si on reprend ce que j’ai déjà dit, nous avons un mode occlusif (ou «plosif» , c’est quand il y a interruption du flux d’air et que cela «explose», à l’image d’un instrument de percussion), un mode fricatif (l’air n’est pas interrompu, il est juste contraint, un peu comme quand on joue de la trompette), nous allons aussi réserver une colonne pour les consonnes résonnantes (ou «sonnantes», ce n’est pas un mode d’articulation à proprement parler, mais cela regroupe plusieurs types de consonnes qui «résonnent») et finalement une pour le mode spirant, qui produit les consonnes approximantes (ou «semi-consonnes», l’air est très légèrement contraint, et le mouvement de constriction n’est jamais total, ce qui donne l’impression de produire des sons proches de voyelles). Si vous voulez vous-mêmes tester ces définitions, voyez-vous même en prononçant les consonnes du tableau quelques paragraphes ci-dessous !

occlusives
fricatives résonnantes approximantes
[p] <p> [b] <p> [f] <f> [v] <v> [r] <r> [j] <y>
[t] <t> [d] <d> [s] <s> [z] <z> [l] <l> [w] <w>
[k] <k> [g] <g> [ʃ] <ŝ> [ʒ] <ĝ> [m] <m>
[h] <h> [n] <n>
[x] <ĥ>

Vous l’aurez constaté, parfois j’ai divisé une colonne en deux, avec de chaque côté deux consonnes très semblables : c’est pour distinguer les sourdes des sonores, c’est-à-dire deux consonnes identiques qui ne se distinguent que par l’intervention ou l’absence des cordes vocales lors de leur prononciation. Cette distinction n’est nécessaire que pour distinguer /p, t, k/ de /b, d, g/ et /f, s, ʃ/ de /v, z, ʒ/. Au départ, je ne savais pas si j’allais exploiter cette distinction, même si j’ai très vite eu l’idée de la mettre en valeur. Finalement, comme je trouvais les fricatives sourdes (/f, s, ʃ/) trop sifflantes et les consonnes occlusives sourdes (/p, t, k/) trop impactantes, j’ai fait de cette distinction sourdes/sonores une caractéristique centrale de la langue azazilúŝ.

J’ai vite décidé d’opposer ces deux types de consonnes, un peu comme ce que j’avais voulu pour les voyelles. Cette opposition aurait plusieurs utilités, la principale étant d’en contrôler la fréquence : en décidant qu’il n’est pas possible d’avoir une consonne occlusive sourde en milieu de mot (/p, t, k/), par exemple, je rends de facto plus présentes les consonnes occlusives sonores dans la langue (/b, d, g/). Cela recoupe avec ma volonté principale : avoir plein de consonnes fricatives et plein de consonnes sonores.

Dans la même logique, j’oppose dans le tableau les fricatives sourdes que sont /f, s, ʃ/ aux fricatives sonores /v, z, ʒ/ dont je souhaitais au départ en faire la variation, sans connaitre encore dans quelles circonstances.

Vous l’aurez noté, les sons sont entre crochets et leurs équivalences graphiques entre chevrons : la plupart du temps, on a aucune différence (/p/ s’écrit avec un p, d’où les crochets autour du <p>, idem pour t, k, b, d, g, …etc.), mais quelques-unes doivent être écrites autrement pour éviter de se prendre la tête sur son clavier : c’est le cas des sons /ʒ/ et /ʃ/, respectivement écrits ĝ et ŝ, et du son /x/ écrit ĥ pour noter l’opposition avec h. Certes, c’est peut-être difficile pour vous, mais je possède un clavier étendu me permettant de le faire simplement ce qui, on ne va pas se le cacher, m’a bien simplifié la vie lorsque j’ai dû compiler le lexique dans un dictionnaire. On trouve aussi le /j/ noté avec un y (comme dans goyave), puisque c’est la convention en français et en anglais et donc plus facile à la lecture pour l’acteur. En principe, je n’utilise jamais cette transcription d’ailleurs. Je préfère la lettre j utilisée par l’Alphabet Phonétique International.

Arrivé à ce stade de la création, je décide donc (comme montré dans le tableau) d’appeler «degré 1» le trio /v, z, ʒ/ écrit <v, z, ĝ>, et d’appeler «degré 2» le trio /f, s, ʃ/ écrit <f, s, ŝ>. En revanche, j’abandonne un peu cette histoire d’opposition formelle dans la langue, et le son /ʃ/ écrit <ŝ> et /s/ écrit <s> sont finalement très présents alors que le /f/ est quasiment absent.

Les liaisons et les assimilations, pour rentre le tout plus fluide

Parce que certains sons sont difficiles à prononcer s’ils se suivent, certains sons mutent en contact avec d’autres. La liste des mutations n’est pas très grandes et ne concerne que les consonnes, et la voici :

  • n suivi d’un g est prononcé [ŋ] comme dans parking. Ça, c’est pour rendre la vie plus facile à notre acteur.
  • s, h et ĥ mutent en r avant un r.
  • s, h et r mutent en ĥ avant un ĥ.
  • h mute en s après s, z, v, f, ŝ, ĝ, ĥ ; il peut être silencieux dans ces mêmes conditions.

Par exemple, dans la phrase inunúŝ hiŝ «c’est à nous», le h de hiŝ est muet ; dans la phrase ragís ragrúŝ «le règne du seigneur», le s de ragís est prononcé [r] puisqu’il est suivi du r de ragrúŝ : on pourrait aussi bien le transcrire ragír‿ragrúŝ.

Le groupe nominal : enfin des mots !

Je vous recolle ici la liste de mes intentions premières écrites tout en haut :

  • Des cas grammaticaux […].

  • Un système de nombre plus complexe […] : je rajoute à côté du singulier et du pluriel un duel (le pluriel des paires) […].

  • Une distinction nette dans la grammaire entre les animés (êtres vivants), les non-animés (les objets) et les être surnaturels.

Et je vous propose de commencer par le dernier point, ce qui sera plus facile pour vous expliquer le en détail le fonctionnement du substantif, mot linguistique qui désigne les «noms».

De l’immortel dans la grammaire

Dans mon brouillon, je distinguais le non-humain, l’humain et le surhumain. Dans ma version finale, les contours de ces catégories ont bougé sur tous les plans : dans la version finale, on distingue donc le commun (objets inertes, concepts vagues, idées, etc.) du mortel (animaux, plantes et les êtres humains évidemment) et de l’immortel (démons, dieux, et divinités). Ces trois catégories ont une fonction de genre, à la place de l’opposition masculin/féminin en français si vous voulez tenter une comparaison. Pour vous donner un exemple, constatez plutôt :

  • Le mot izimus «désir» est inspiré de l’akkadien izimtu signifiant «désir, souhait, objectif». Il s’agit d’un sentiment, d’une idée ou d’un concept : c’est du commun.
  • Le mot aĥa «membre d’un groupe» est dérivé du verbe aĥ-i «devenir membre, zélote ou adepte ; rejoindre un groupe» qui a pour origine l’akkadien ah̬u signifiant «devenir amis». Il désigne un être vivant, qui lui seul peut avoir une volonté ou un jugement : c’est du mortel.
  • Le mot dingír «démon, dieu, déité ; puissance surnaturelle» a pour origine le sumérien DIĜIR «dieu». De par ce qu’il désigne, aucun doute : c’est de l’immortel.

Par ailleurs, les terminaisons peuvent nous renseigner sur leur catégorie (ou genre) : les mots en -us, -is ou -Cz (c’est-à-dire une consonne + z) sont surtout communs, les mots terminant par une voyelle sont surtout mortels, les autres mots sans forme particulière ont de bonne chance d’être immortels.

une autre façon de décompter

Comme mentionné désormais à plusieurs reprises, il existe en plus du singulier et du pluriel un duel, c’est-à-dire un pluriel spécifique pour les choses qui vont par deux. Pour tous les mots, le duel et le pluriel sont caractérisés par un changement de l’accent sur la syllabe précédente et par la terminaison -er (duel) ou -en (pluriel) sur le radical. Si on reprend nos exemples précédents, izimus a alors pour duel izímer et pour pluriel izímen, aĥa a pour duel áĥer et pour pluriel áĥen, dingír a pour duel dínger et pour pluriel díngen.

Par ailleurs, duel et pluriel se confondent parfois. C’est systématique pour quelques cas grammaticaux comme on va le voir par la suite, mais aussi parfois dans les accords eux-mêmes lorsque les deux sont théoriquement dissociés. Le duel désigne parfois par exemple l’entité vs. le groupe, séparés en deux ensembles et dénombrés comme tels. Deux groupes de personnes bien identifiables, même si ces groupes sont composés de nombreux ensembles, peut résulter sur un duel. Bref, parfois, cela peut dérouter.

Des cas, plein de cas

Bien évidemment, et comme c’est une langue où l’on trouve des fameuses «déclinaisons», tout ce que je viens de noter précédemment ne vaut que pour le nominatif, c’est-à-dire la forme que les mots ont lorsqu’ils sont sujets de l’action (en jaune dans le tableau qui suit).

singulier duel pluriel
-is/-us/-z/-a/-ø ´-er ´-en
-in/-un/-an ´-el ´-en
-úš(e) ´-íh(e) ´-íĝ(e)
-u -i
-a -áĥ(e)
-iš ´-reš / ´-leš
-ugaú -igaí

Au début, pour l’azazilúŝ, j’ai voulu partir sur de l’ergatif, un système qui met en avant le procès d’une action plutôt que ses acteurs. Les langues ergatives, comme le basque, ont une logique complètement inversée à celles des langues accusatives comme le français. Mais finalement, je me suis ravisé et j’ai décidé de rester sur un truc plus traditionnel. Alors, j’ai fait à mon habitude : il y a toujours des cas que je mets dans mes langues, je dois bien l’avouer. On retrouve ici mes favoris parmi lesquels le génitif (complément du nom, pour noter l’appartenance ou le lien de dépendance d’un mot à un autre), le locatif (le lieu où l’on est), le directif (le lieu où l’on va) et l’essif (l’état, le fait d’être la chose désignée). À ces derniers, j’ai rajouté le vocatif qui était un cas du Proto-Indo-Européen (forme d’un nom lorsque l’on interpèle quelqu’un), l’oblique qui est une agrégation de l’accusatif et du datif que l’on trouve dans de nombreuses langues (désigne ce qui subit l’action du verbe, et ce qui se trouve après une préposition) et l’aversif, une trouvaille dont je suis assez content et qui est inspiré des langues aborigènes, qui peut remplacer l’oblique (et qui désigne les choses que l’on craint, typiquement un démon dans la perspective de l’Homme). Au total, on retrouve pas mal de choses qui existent en akkadien, sumérien ou proto-sémitique de manière générale (langue à l’origine de l’arabe, de l’hébreu, etc.)

Ces cas peuvent être triés : le vocatif, le nominatif, l’oblique et le génitif sont des cas centraux, c’est-à-dire qu’ils sont obligatoires et essentiels à la compréhension de la phrase, le locatif et le directif sont des cas spatiaux, c’est-à-dire qu’ils donnent une information sur la localité ou le mouvement de l’action. L’essif est parfois classé linguistiquement parlant comme un cas spatial, mais en azazilúŝ ce cas est surtout un statut qui peut être assimilé parfois au mode de conjugaison verbal ; l’aversif est aussi un cas lié au statut et qui peut remplacer l’oblique donc, mais il est en tout point facultatif.

Ainsi, tout mot se décline en fonction de son cas grammatical mais aussi en fonction du nombre : le singulier, le duel et le pluriel n’ont pas la même déclinaison. En revanche, pour les cas non-centraux, le duel et le pluriel sont confondus. Mais là, je ne vous apprends rien si vous avez étudiez le latin, l’allemand ou le grec si vous en avez fait à l’école.

Alors, désormais que vous avez les clés pour comprendre, il convient d’expliquer le tableau que vous venez de croiser ! Vous y voyez les terminaisons pour chaque cas et nombre, et ce pour tous les mots. Ci-dessous, ligne par ligne, je vais vous en expliquer la fonction en détail avec quelques informations sur l’origine, accompagné de la déclinaison des trois mots que l’on se traine depuis plusieurs sous-chapitre désormais : izimus, aĥa et dingir.

nominatif

(sujet de la phrase)

singulier duel pluriel

commun

izimus

«désir»

izímel

«deux désirs»

izímen

«désirs»

mortel

aĥa

«membre»

áhel

«deux membres»

áĥon

«membres»

immortel

díngen

«dieu»

díngel

«deux dieux»

díngen

«dieux»

Le nominatif est très clairement inspiré, comme pour la suite, du proto-indo-européen qui est typiquement noté par un -s., que l’on retrouve d’ailleurs en latin ou en grec ancien. C’est vrai pour les mots communs en azazilúš, mais pas vraiment pour les autres qui ont un nominatif finissant par une voyelle ou une autre consonne.

Il existe dans la langue certains mots qui ont plusieurs nominatif : c’est par exemple le cas de lu «Humain, Homme» (du sumérien LU «homme») qui a également une forme lun au nominatif, et même le cas de dingir qui possède une forme díngen présentée dans le tableau. Ici, lu et dingir sont les formes courantes, irrégulières et archaïques tandis que lun et díngen sont de nouvelles formes plus régulières et tirées de l’oblique dont on parlera après.

Synchroniquement, on pourrait expliquer cela par le besoin d’avoir un marquage au nominatif pour lu qui sinon est identique à son propre radical et donc à son vocatif (et ça n’arrive jamais ailleurs dans la langue). Si l’oblique n’avait pas servi de modèle de substitution, on aurait peut-être pu avoir une forme *lus ou *luwus : ces formes auraient été cohérentes puisque la réduction -uwu- > -u- se rencontre à d’autres endroits dans la langue.

Pour le mot dingír, la forme díngen est peut-être plus pertinente puisqu’il s’agit autrement d’un mot immortel anormalement accentué au nominatif sur la dernière syllabe. Cette place a pour but de maintenir le lien avec l’origine sumérienne du mot. La forme díngen, calquée sur l’oblique donc, permet d’avoir un accent à la bonne place. Mais la vérité, c’est qu’il s’agit surtout d’un archaïsme sur le plan créatif, puisque j’ai un temps hésité à avoir tous les nominatifs avec un -n final et ces mots sont passés outre la révision pour conserver leur parenté avec le mot dont ils sont issus étymologiquement.

De par leur sens, ces mots sont probablement très fréquents. Or, la fréquence justifie l’irrégularité ; ces exceptions sont linguistiquement très cohérentes donc, et même bienvenue pour donner plus de vraisemblance.

vocatif

(interpellation)

singulier duel pluriel

commun

izim

«désir(s)!»

mortel

«membre(s)!»

immortel

ding

«dieu(x)!»

Le vocatif est donc le cas qui sert à interpeler, qui est identique au radical : aucune différence de nombre donc. C’est le cas en P.I.E. par exemple, mais aussi dans d’autres langues.

On trouve dans la série plusieurs vocatifs, dont la forme ne peut cependant pas les distinguer du nominatif. Il s’agit de gal «seigneur» et yuzív «Joseph», qui interviennent en début de dialogues.

oblique

(celui qui subit l’action du verbe)

singulier duel pluriel

commun

izimun

«désir»

izímel

«deux désirs»

izímen

«désirs»

mortel

aĥan

«membre»

áhel

«deux membres»

áĥon

«membres»

immortel

díngen

«dieu»

díngel

«deux dieux»

díngon

«dieux»

L’oblique est de loin, dans une phrase, le cas qui a le plus de chance d’apparaître sur les mots. Les phrases écrites pour la série qui ont un oblique sont nombreuses. Situé le plus souvent après les verbes pour noter qu’ils subissent son action ou après une préposition pour noter qu’ils en sont dépendants, il a plusieurs formes au singulier en fonction de la terminaison du nominatif. Ainsi, un mot finissant au nominatif singulier en -us finira en -un à l’oblique, un mot -is en -us, etc. Encore une fois, il existe des exceptions à cette règle, qui ne sont pas prioritaires face à d’autres : dingír au nominatif à une forme attendue en *dingín par exemple. Cependant, cette position finale d’accent au nominatif est une exception au regard de sa catégorie grammaticale, puisque l’une des premières règles fixée est d’avoir l’accent sur la première syllabe pour les mots de classe immortelle. À l’oblique, cette exception ne tient plus et on retombe sur un modèle régulier : de fait, l’accent en première position induit sur la prochaine syllabe, si c’est la dernière, une neutralisation de la voyelle. Le -in devient donc -en. On a donc díngen à l’oblique singulier.

Parfois, il faut aussi se rabattre sur la voyelle du radical, ou alors connaitre l’étymologie du mot. Typiquement, les mots qui sont en -Cz au nominatif sont des mots dont l’histoire interne présuppose une ancienne terminaison en -es avec un accent sur l’avant-(avant-)dernière syllabe. Ce sont, si on peut le dire ainsi, d’anciennes formes régulières dont l’évolution, à cause de la place de l’accent, a conduit à un raccourcissement induisant une irrégularité. Cette particularité, qui rajoute une couche de complexité à la langue, a plusieurs fondements : tout d’abord, une influence du Proto-Indo-Européen et plus particulièrement des formes en *-tḗr comme *ph₂tḗr «père »et *méh₂tēr «mère» qui au nominatif n’ont pas le marquage en -s qui a vraisemblablement existé autrefois, mais qui a été perdu par allongement compensatoire, d’où la présence d’une voyelle longue ē ; ensuite, cela rajoute une possibilité d’intégration lexicale supplémentaire, typiquement pour créer des formes que l’on cherche à rendre similaire à d’autres, et c’est le cas de l’exemple présenté dans les phrases suivantes.

L’exemple ultime, en azazilúš, est en effet le mot azalz «enfer, porte des enfers, royaume des immortels ; passage vers un endroit divin» qui a pour étymologie interne azalis (azalis > ázales [par influence de Azazel] > ázals > ázalz > azálz). Dans ce cas, on a un oblique singulier en -in, lorsqu’il ne reprend pas la voyelle du radical : azalz devient donc azalin (archaïsme) ou azalan (forme nouvelle). La création de ce mot est par ailleurs tirée de l’akkadien arali «porte des enfers, enfer» qui est le nom d’une steppe mésopotamienne, et le passage de azalis à arali s’explique par un phénomène appelé rhotacisme, que l’on trouve en latin ou en albanais par exemple, et qui a existé localement en français puisqu’on le trouve à l’origine de la différence entre chaire et chaise. Dans cet exemple, j’ai pu connecter le mot azalz à un terme akkadien lui ayant donné son sens, tout comme j’ai pu le connecter en interne au mot azazel lui-même.

Pour le duel et le pluriel, il existe aussi une connexion avec le nominatif : les r deviennent des l au duel, les e deviennent des o au pluriel.

Pour cette omniprésence de -n, c’est aussi un lien direct avec le P.I.E. qui avait un accusatif en -m, qui devient ensuite un -n dans beaucoup de langues indo-européennes filles. Cela tombait particulièrement bien, parce que le vieil arabe faisait son accusatif en -an, et l’akkadien en -am. Le duel et le pluriel, comme au nominatif d’ailleurs, sont des inspirations assez libres du P.I.E. bien qu’elles s’en détachent.

génitif

(lien d’appartenance)

singulier duel pluriel

commun

izimúš(e)

«du désir»

izimíh(e)

«des deux désirs»

izimíĝ(e)

«des désirs»

mortel

úš(e)

«du membre»

íh(e)

«des deux membres»

íĝ(e)

«des membres»

immortel

dingúš(e)

«du dieu»

dingíh(e)

«des deux dieux»

dingíĝ(e)

«des dieux»

Le génitif note le relation de dépendance entre deux éléments, typiquement pour désigner la possession. Pour tous les singuliers, la forme en -úŝ(e) est tirée des formes du P.I.E. en -es/-os/-s ou en -o-si̯o-, comme dans wĺ̥kʷosyo  «du loup». On retrouve ces marqueurs dans les langues filles sous la forme en hittite ou sous la forme -sya en sanskrit : attaŝ «du père», vṛkasya «du loup». C’est sans mentionner les formes similaires que l’on trouve en lituanien ou en grec ancien.

pour les duels, la forme -íh(e) n’est pas liée à quoique ce soit. Sa création est purement à priori, c’est-à-dire purement basée sur l’imagination, bien qu’il soit pensé pour avoir un certain lien avec les pluriels en -íĝ(e). Pour autant, si on cherchait un lien ad hoc, on pourrait en faire un avec le Proto-Indo-Européen *-ih₁ qui sert de marquage duel des mots neutres au vocatif, au nominatif ou à l’accusatif.

Concernant ce e entre parenthèses que l’on croise dans ce tableau, il s’agit d’une voyelle facultative, désuète et archaïque, qui permet une flexibilité supplémentaire au niveau du rythme pour les incantations. C’est une inspiration de l’allemand qui a ce genre de -e archaïque au datif, par exemple.

locatif

(lieu où l’on se trouve)

singulier duel pluriel

commun

izimu

«dans le désir»

izimi

«dans les désirs»

mortel

u

«dans le membre»

i

«dans les membres»

immortel

díngo

«dans le dieu»

dínge

«dans les dieux»

Nous attaquons les cas spatiaux où le duel et le pluriel se confondent. Le locatif, qui désigne l’endroit où l’on se trouve, pourrait ne pas vraiment avoir de sens ici. Que peut vouloir dire izimu, locatif de izimus «désir»? Ou alors celui de aĥa «membre d’un groupe», celui de dingir «dieu» ? Eh bien, c’est l’équivalent en français de dans mais aussi chez et parfois avec ou sur : izimu peut se traduire par «dans le désir, avec le désir», aĥu peut se traduire par «dans un membre du groupe» ou par «chez un membre du groupe» en fonction du contexte, et díngo peut se traduire par «dans dieu, chez dieu, avec dieu, sur dieu» là aussi en fonction du contexte. L’idée, c’est d’être superposé spatialement avec le mot désigné, aussi bien concrètement qu’abstraitement.

Dans les textes que j’ai eu à traduire, il n’y a pas de locatif hormis la forme baru «dans les bois» (barus au nominatif, du P.I.E. *bʰor-u- «forêt, arbre»), mais il y aurait pu en avoir bien plus : dans la phrase tawá taĥín «je viens à toi» que l’on entend dans la série, le mot tawá «vers toi, à toi» est ici un directif pour insister sur le mouvement ; il pourrait être traduit par tawú taĥin «je viens à toi, chez toi», au locatif donc : pour insister sur le fait que l’on aille vraiment au contact sur la personne, là où elle est.

Le locatif a plusieurs inspirations ici : le P.I.E. toujours, on l’on trouve une forme -su au pluriel, mais aussi le polonais et le slovaque qui ont un locatif en -u/-i , le serbo-croate idem, l’hittite avec son locatif singulier en -i, et le latin où il existe un locatif archaïsant en .

Par ailleurs, notez que le mot dingir fait son locatif en díngo et non en dingu : c’est parce que la marque du locatif ne force pas la place de l’accent, comme c’est pourtant le cas au génitif notamment. De fait, comme à l’immortel l’accent est sur la première syllabe du radical, dans un mot bisyllabique comme dingir, la terminaison du locatif en -u est en position inaccentuée et mute donc en -o.

directif

(lieu où l’on va)

singulier duel pluriel

commun

izima

«vers le désir»

izimáĥ(e)

«vers les désirs»

mortel

a

«vers le membre»

áĥ(e)

«vers les membres»

immortel

díngë

«vers le dieu»

dingáĥ(e)

«vers les dieux»

Le directif est le pendant du locatif lorsqu’il existe un mouvement vers quelque part (mais jamais depuis quelque part, et la subtilité est assez importante). Au singulier, on a une forme avec une voyelle unique -a qui rappelle fortement la formation du locatif. Comme c’est d’ailleurs le cas pour ce dernier, celui-ci mute en position inaccentuée comme dans díngë «vers les dieux». Ce n’est évidemment pas anodin, cela a été créé pour et sans véritable connexion étymologique avec d’autres langues. Pour autant, et si l’on cherchait à rationaliser ce choix, il existe des ablatifs (qui note le lieu d’où l’on part) en -a en hittite, comme attaza «à partir du père». Le sumérien possède un cas spatial noté avec -a à savoir le locatif, comme pour ĝeš-a «dans l’arbre».

Au pluriel, on a par contre une forme qui évoque volontairement le génitif duel. Dans la reconstruction interne, il est formé en -a-h(e), décomposé ainsi : le -a du locatif singulier, le -h(e) du génitif duel ayant muté en -ĥ(e) sous l’influence de la voyelle a.

On trouve quelques directifs dans les dialogues de CALLS, notamment la forme ŝutuga/ŝuduga «vers la chapelle, vers la paroisse». Noté que l’on entend la forme avec le -t- intervocalique dans la série, là où on attendrait un -d- pour correspondre à la structure phonologique décidée plus haut. Il s’agit d’une erreur de ma part, qui n’induit en revanche aucun problème de compréhension, et qui s’est alors retrouvée dans la bouche de l’acteur ; on peut mettre ça sur le compte de l’archaïsme, puisque cela vient du sumérien šutug3 «chapelle». On trouve également la forme kita ayant pour sens ici «pour la cause» plutôt que «vers la cause» (kitus signifie «cible, destination, cause, fin», il vient de l’akkadien qītu «objectif, destination, cause») puisqu’il s’agit d’un but à atteindre et le directif permet de l’imager.

aversif

(la crainte de)

singulier duel pluriel

commun

izim

«désir»

izímreŝ / izíml

«désirs»

mortel

«membre»

áĥreŝ / áĥleŝ

«membres»

immortel

díng

«dieu»

díngreŝ / díngleŝ

«dieux»

Si vous vous souvenez de ce qui est écrit au début de cet article, l’aversif est un cas qui peut remplacer l’oblique pour désigner ce que l’on craint. Il intervient donc dans des discussions où l’on place l’interlocuteur au-dessus de soi sur une échelle hiérarchique, surtout si la tierce partie peut atteindre à notre intégrité : typiquement, un immortel lorsque l’on est mortel.

Pour bien comprendre pourquoi l’aversif remplace l’oblique et non le nominatif, c’est parce que l’on craint toujours la personne que l’on désigne, qui subit donc l’action verbale, et jamais la personne à l’origine de cette action puisqu’il cela reviendrait à se désigner soi-même. J’avais envisagé au début que l’on puisse avoir un aversif remplaçant le nominatif dans une phrase passive, puisque le nominatif d’une phrase passive est celui qui subit l’action. Dans cette configuration, l’alternance entre le -leŝ et -reŝ trouvait un sens :

  • on avait -leŝ pour l’aversif substitut de l’oblique (dans une phrase traduite par «je crains le démon», démon serait en azazilús un oblique remplacé par ce type d’aversif en -leŝ). Cette désinence est très clairement décomposée en -el-eŝ, constituée du -iŝ aversif singulier avec un -el- intercalaire, marque du duel oblique.
  • on avait -reŝ pour l’aversif substitut du nominatif (dans une phrase traduite par «le démon est craint par moi», démon serait en azazilús un nominatif remplacé par ce type d’aversif en -reŝ). Comme pour son correspondant, cette désinence est décomposée en -er-eŝ, constituée du -iŝ aversif singulier avec un -er- intercalaire, marque du duel nominatif.

Le passif étant très rare, cet usage serait tombé en désuétude. Cela me paraissait d’ailleurs bien trop complexe pour que cela intervienne dans la série, où il y avait bien trop peu à traduire pour que cela ait une chance d’apparaitre. L’explication de la désuétude est celle que j’utilise pour justifier cette dualité -reŝ/-leŝ encore présente entre les marques plurielles : les marques nominatives se sont maintenues dans le temps, mais la construction passive qui les mettait en lumière a disparu. Par confusion, de par leur similarité, les terminaisons -reŝ/-leŝ sont devenues interchangeables.

Au singulier, il n’existe pas de telle dualité, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’aurait pas pu exister là aussi. Comme l’aversif est vraisemblablement un cas nouveau, comme en témoigne sa formation au pluriel décrite ci-haut. En fait, il s’agissait au départ d’un simple suffixe -iŝ. On peut reconstituer son singulier ainsi :

  • Au nominatif singulier, on a les marques -is/-us/-a/-z qui sont très courantes. Au départ, la marque -iŝ de l’aversif s’ajoute au tout : -is-iŝ, -us-iŝ, -a-iŝ, -z-iŝ. Par un phénomène appelé haplologie, les séquences is-iŝ et -us-iŝ sont réduites au simple -iŝ : c’est une mutation connue en phonétique, qui est arrivée au mot amphore, du grec ἀμφορεύς|amphoreús lui-même abrégée par haplologie de ἀμφίφορεύς|amphiphoreús. La forme -a-iŝ est réduite aussi, puisqu’elle donnerait sinon une diphtongue (une voyelle composée de deux voyelles, ici a + i = ai) qui sont très rares dans la langue. La forme -z-iŝ, beaucoup plus rare, est réduite à -iŝ par analogie. Pour la plupart des noms propres, comme Azazel lui-même, on ne trouve qu’un -iŝ (Azazileŝ) collé au radical puisqu’il n’y a pas de terminaison propre nominative.
  • Au nominatif pluriel, on a la marque -en avec accent sur la syllabe précédente. Je n’ai rien prévu pour expliquer pourquoi les marques du duel se sont imposées en lieu et place du pluriel. Cependant, au directif, le duel-pluriel est tiré du duel génitif, il n’est pas déconnant que le duel-pluriel de l’aversif soit lui aussi tiré du duel d’un autre cas.

Il n’y a qu’un seul aversif dans la série, c’est sadún «Satan», tiré de l’hébreu ןטש|sātān. Il a la particularité d’être une forme irrégulière, puisque l’on trouve une forme nominative singulière sadán avec un accent sur la dernière syllabe, là où on attendrait *sádën avec accent sur la première syllabe. Le radical sadn- est aussi irrégulier, puisque l’on s’attendrait à la forme *sad-. Dans mes petits papiers, j’ai attribué ça à une forme aversive en -un qui est tirée de l’oblique, mais je crois qu’on peut simplement se mettre d’accord sur l’irrégularité totale de cette forme, ne voulant pas avoir une forme excédant deux syllabes pour un terme qui devrait être beaucoup utilisé. Parce qu’il est vrai que dans le contexte d’une langue démoniaque, craindre Satan ne relève pas de l’exceptionnel, que cela remplit toutes les conditions pour être une chose assez courante, la fréquence justifie ici son irrégularité.

essif

(état, en tant que)

singulier duel pluriel

commun

izimugau

«comme désir»

izimigai

«comme désirs»

mortel

ugau

«étant membre»

igai

«étant membres»

immortel

dingugau

«étant dieu»

dingigai

«étant dieux»

L’essif est un cas vraiment particulier qui en azazilúŝ désigne l’état mais aussi la comparaison : on peut traduire izimugau par «désireux, dans un état de désir», aĥugau par «en tant que membre de groupe, dans ma condition de membre du groupe», dingagaí «en tant que dieu, étant dieu».

En azazilúŝ, l’essif est aussi un nouveau cas qui vient de l’agglutination du mot gal «grand, roi, supérieur, seigneur» décliné au locatif (-u au singulier, -i au duel/pluriel) avec un effacement du -l- qui est assez courant dans la langue et intervient à d’autres endroits. Ainsi, l’essif à un sens mélioratif, puisqu’il vient littéralement de gali/galu «dans (en étant) le roi, le supérieur ou le seigneur».

J’y fais un lien aussi avec le sumérien -gen/-gin qui est la marque de l’équatif, cas servant à formuler une comparaison d’égalité ou donner son identité, d’où ce sens également possible en azazilúŝ : lugal-gin «en tant que roi, comme un roi» en sumérien équivaut en azazilúš, aussi bien en sens que pour son étymologie, à lugalugau «en tant qu’homme-roi».

La composition des noms

Cette partie sera très brève, mais les noms peuvent être composés de plusieurs autres noms par adjonction de leurs radicaux : galírnidus «cri de victoire» est composé de gaus «cri, hurlement» dont le radical est gal- (gaus est issu d’un galus > gawus > gaus, du verbe gal-i «crier, hurler» qui renvoie au P.I.E. *gʰel- «crier, appeler, chanter») et de irnidus «victoire, triomphe, succès» (de l’akkadien irnittu «victoire»). Un autre que l’on trouve dans la série est nimlirus «grande tribulation», composé de nim «grand, haut» (du sumérien nim «haut-pays») et lirus «force, test (de foi), tribulation, épreuve, preuve» (du sumérien lirum «force, épreuve de force»).

La dérivation nominale

Je n’ai pas du tout développer cette partie au delà du nécessaire pour les texte de CALLS.

Certains mots ne sont jamais qu’une base verbale ayant été dérivée pour obtenir un nom. En voici les 2 principaux :

  • -ar sert à désigner celui qui fait l’action. Par exemple, ana-i «se plaindre», (lié à une forme an, du P.I.E. *h₂nḗr «homme ; force, énergie») donne anar «pleurnicheur, chouineur»
  • -ru sert à désigner une action subie, un processus ou quelqu’un élu pour une cause. Par exemple, ana-i «se plaindre» donne anru «prieur, individu ; celui qui prêche ou se lamente». Ces dérivés sont primairement des adjectifs, mais ils peuvent être substantivés.

Les déterminants (clitiques)

En azazilúŝ, les déterminants sont relativement rares, mais ils existent. Cet aspect est pas très développé dans la langue. Le seul cas où ils sont incontournables, c’est l’emphase : il existe en gros un déterminant générique qui la provoque. Il s’agit en réalité d’un clitique postposé -gi : gal «cri» devient donc gal-gi «le cri, ce cri-là», accentué ou non. Si le clitique est accentué, l’accent du mot spécifié ne change pas de place ni la valeur de ses voyelles : il devient seulement secondaire. C’est finalement ici la différence entre un clitique et un suffixe : le clitique est en dehors du mot, là où le suffixe est incorporé en son sein.

Comme le clitique -gi est indépendant, il est toujours monosyllabique (on vient de l’expliquer, ce n’est pas une extension du mot précédent : de fait, il est toujours strictement identique à lui-même). S’il n’impacte alors pas la place de l’accent du mot déterminé, le mot déterminé n’impacte pas non plus son accent, et donc la qualité de sa voyelle. Pour que ce soit plus clair, que vous accentuez le -gi ou non dans ce cas, il ne changera pas de forme et on aura donc jamais *gál-ge mais bel et bien gál-gi, gál-gí ou gal-gí «ce cri-là». Cette particule peut se trouver après n’importe quelle déclinaison du mot. Au génitif, à titre d’exemple, gal devient galuŝ «du cri» et on peut alors rajouter -gi : galuŝ-gi «du cri, de ce cri-là».

Dans mon processus créatif, j’ai à l’origine un article -ig plutôt que -gi dans mes petits papiers. J’ai dû modifier par la suite, après une erreur de typographie. Finalement, cela rendait les choses plus naturelles.

Les déterminants (possessifs)

Les possessifs, ce sont les pronoms personnels agglutinés au mot. Certes, on a pas encore parlé de ces fameux pronoms et ça viendra, mais je vous donne au moins un exemple en reprenant notre gal. pour dire «mon cri», il suffit d’ajouter le pronom personnel de la première personne qui nous correspond et le mettre derrière le mot spécifié :

  • si vous êtes immortel, «je» se dira ini, on obtient donc gal + ini que l’on fusionne en galíne, l’accent étant à la frontière finale du radical (ga-lí-ne, le radical est sur deux syllabes). Si vous voulez ensuite le décliner, alors considérez que votre nouveau radical est votre mot sans l’éventuelle voyelle finale inaccentuée : de galíne, on obtient galin- que l’on peut ensuite décliner au génitif si besoin pour obtenir galinúŝ «de mon cri».
  • si vous êtes mortel, «je» se dira na, on obtient donc gal + na que l’on fusionne en gálnë, l’accent étant encore une fois à la frontière du radical (gál-në, le radical n’est que sur la première syllabe). Ensuite, on lui retire la voyelle inaccentuée pour former le radical galn- qui peut ensuite être décliné au génitif, pour reprendre l’exemple du dessus : galnúŝ «de mon cri»
  • au commun, les objets ne pouvant pas se désigner eux-mêmes, il n’existe que des pronoms à la 3e personne. Ces pronoms sont ni, nir ou nin (respectivement au singulier, duel et pluriel), qui ont la particularité d’avoir comme forme agglutinée la même que celle qui existe pour les verbes, soit ‘-ne, -inir, -inin. Ainsi, «son cri» en parlant d’une chose au commun, se dira donc gálne, galnúŝ «de son cri» au génitif. Je sais bien, cela n’a pas vraiment de sens au commun (qui désigne des objets inertes ne pouvant pas crier), j’en conviens, mais admettons que vous vouliez faire de la poésie et dire qu’un caillou ou qu’un mur crie : on dit bien en français que les murs ont des oreilles.
  • au duel et au pluriel, en fait, c’est la même chose peu importe la catégorie de votre mot : les formes agglutinées sont les mêmes que celles qui existent pour les verbes, avec parfois un accent sur la dernière syllabe (au pluriel et au mortel). Vous pouvez en avoir la liste complète dans le chapitre sur les pronoms, mais les voici sans contexte aucun : -aŝár (duel 3sg. mortel), -aŝán (pluriel 3sg. mortel), -ímes (duel 1sg. immortel), -ún (pluriel 1sg. immortel), -ítes (duel 2sg. immortel), -iwú (pluriel 2sg. immortel), -ídes (duel 3sg. immortel), -iŝú (pluriel 3sg. immortel).

Et pour finir : l’adjectif

Il n’y a pas grand chose à dire sur l’adjectif, qui a été réduit au plus simple. Les adjectifs sont toujours invariables et postposés, ils ne changent donc jamais de forme et sont toujours après ce qu’ils définissent, et ce même en cas de changement d’accentuation. Par exemple, wíri «vrai, exact, véritable, authentique» a l’accent sur la première syllabe mais ne voit pas son -i final muter pour autant. J’explique cela par le fait que les adjectifs ne sont pas censés être accentués dans la phrase. Par ailleurs, wíri est lié au substantif wirís avec l’accent en finale signifiant «vérité», il est lui-même tiré du P.I.E. *weh₁-/*weh₁-ros/*weh₁-reh₂ «vrai».

Dans CALLS, la phrase runus wíri signifie «le vrai chemin», puisque runus signifie «chemin» et que wíri est l’adjectif qui s’y rapporte. Par ailleurs, notons que runus vient lui aussi du P.I.E. *Hri-nu- «rivière, rive, canal», lié à la racine *h₃reiH- «bouillir, s’agiter».

Concernant la place de l’adjectif, elle peut parfois bouger. Ainsi, on dira nimi sadán «le grand satan» avec l’adjectif nimi «grand, haut», du sumérien nim «haut-pays», antéposé et non postposé. En revanche, nimi est une exception en cela qu’il s’agit d’un adjectif ayant plusieurs formes : une nouvelle, ními ou nimí qui correspond un peu plus à la forme canonique avec ce -i final caractéristique, et une archaïque, nim qui correspond strictement à son pendant étymologique sumérien.

Pour la dérivation, il en existe aussi mais je n’ai pas non plus vraiment poussé loin cette caractéristique. Mais en gros, il existe ces affixes :

  • -tur permet de faire un participe passé (considéré comme adjectif) à partir d’un verbe, qui peut aussi bien être utilisé comme adjectif ou comme substantif (en réalité, comme adjectif substantivé). Par exemple, nibida-i «réunir» donne nibidatur «réuni». Il est directement inspiré du -tur latin qui sert à former un passif à la 3e personne (en latin amātur signifie «il est aimé»). Par ailleurs, le verbe nibida-i est lié à l’adverbe nibida «ensemble», inspiré du sumérien enebida dérivé de ani «il, lui, elle» ; une connexion est faite avec le pronom singulier commun ni «il, elle, ça».
  • -laŝ permet de faire un adverbe de manière à partir d’un substantif ou d’un adjectif, iris «monde, ville, cité» donne par exemple irislaŝ «mondialement, universellement». Ce mot vient étymologiquement du sumérien iri «ville».

L’adverbe

L’adverbe n’est pas inclus dans le groupe nominal avec l’adjectif et le substantif, mais je le mets ici étant donné que l’adverbe (de manière) fonctionne grosso-modo comme l’adjectif. Souvent strictement équivalent à son équivalent adjectif, d’ailleurs, avec lequel il se confond en tout point, on ne reconnait l’adverbe que par sa place dans la phrase : la première place, détachée du reste. Dans la série, cette ambivalence se retrouve dans l’une des propositions que j’ai faite pour la traduction d’un dialogue. Alors que je devais traduire l’adverbe «oui», j’ai proposé wíri «exact, vrai, vraiment» et wíri híŝ(en) «c’est vrai» indistinctement. Le mot wíri est à la fois un adverbe et un adjectif dans ces exemples.

Le groupe verbal

Le groupe verbal est le cœur de l’action : il met en relation le sujet et l’objet, celui qui agit et celui qui subit. Dans cette partie, on va donc parler du verbe évidemment mais aussi des pronoms, ces petits mots-outils qui remplacent les noms et que l’on trouve en français sous les formes je, il ou elle. Et d’ailleurs, comme ce sont ces derniers qui ont été évoqués dans les paragraphes précédents, je vous propose de commencer par eux.

Les pronoms personnels

Vous connaissez la chanson désormais : il existe genre commun, mortel et immortel, il existe un singulier, un duel et un pluriel, et le tout s’articule autour de cas grammaticaux ce qui les force à se décliner pour identifier le rôle dans la phrase. Ceci étant établi et désormais bien dans votre tête, le tableau ci-dessous est celui des pronoms au nominatif :

commun mortel immortel
1ère pers. sing. na
(-n)
ini
(´-n)
duel mis
(-ímes)
plur. inu
(-ún)
2ème pers. sing. ta
(-t)
iti
(´-t)
duel tis
(-ítes)
plur. iwu
(-iwú)
3ème pers. sing. ni
(´-ne)
ŝa
(-aŝ)
iĥi
(´-ĥ)
duel nir
(-inir)
ŝar
(-aŝar)
nidis
(-ídes)
plur. nin
(-inir)
ŝan
(-aŝan)
iŝu
(-iŝú)

Comme en français, il existe en azazilúŝ 3 personnes grammaticales (la première, la deuxième et la troisième), c’est-à-dire qu’il existe un «je» qui est la première personne, un «tu» qui est la deuxième et un «il» qui est la troisième. Le tout ayant un duel pour les paires, et un pluriel comme en français «nous», «vous» ou «ils». Notons cependant quelques particularités, notamment les trous que vous pouvez voir :

  • au commun, il n’existe que la troisième personne. Puisqu’un nom commun est forcément inanimé, c’est-à-dire qu’il désigne des objets inertes ou des concepts, ils ne peuvent par définition pas participer à une discussion. Une pierre ou un mur ne peut pas dire «je» ou «tu», pour faire simple. Cette absence est la logique conséquence de ce simple fait.
  • au mortel, il n’existe aucune distinction en nombre, le duel et le pluriel équivalent au singulier. Ainsi, pas moyen de distinguer «je» de «nous» ou «tu» de «vous». L’idée sous-jacente était de monter que les mortels ne sont pas considérés comme des individus mais comme une masse informe dans le cadre d’une discussion. Il s’agissait donc de les rabaisser vis-à-vis des immortels, qui eux sont individualisés à toutes les personnes.
  • à l’immortel, bien que ce genre grammatical soit associé à un accent sur la première syllabe, les pronoms ne sont pas concernés par cette règle.
  • les pronoms chacun admettent deux formes : une forme pleine (détachée et libre) et une forme conjointe (dépendante, fixée à la fin du verbe) qui n’intervient que lorsque le pronom est sujet. Dans le tableau, les formes conjointes sont entre parenthèses.

Petite anatomie des pronoms

On dirait peut-être pas comme ça, mais il existe des patterns bien identifiables dans ces pronoms qui permettent d’en reconnaitre le genre, la personne et le nombre. Si cela vous semble pas transparent, voici une petite grille de lecture :

  • Le commun singulier est basé sur le radical ni, qui est inspiré de l’élamite et du sumérien ani ou ni «il, elle, ça» et dont la forme conjointe ´-ne est inspirée là aussi du sumérien qui a aussi une forme en -ne.
  • Les pronoms personnels mortels et immortels sont caractérisés par une consonne n à la première personne et par un t à la deuxième personne : la première est d’inspiration indo-européenne, et plus précisément de *oin- «un, une» et des formes *h₁m- que l’on trouve à toutes les personnes sauf au nominatif en P.I.E. (et qui ont donné me, ma, mon en français, etc.), mais aussi des langues sémitiques et notamment l’arabe ou l’araméen qui ont chacun un pronom ‘anā ; la seconde est d’inspiration indo-européenne toujours, puisque l’on y trouve cette consonne dans toutes les formes du singulier en P.I.E. : *tu, *tuH, *toi, etc. (que l’on retrouve en français dans tu, te, ton, etc.), mais j’y fais aussi un lien avec le sumérien -zu et avec les langues sémitiques où l’on trouve atti/atta en akkadien, ‘att en hébreu, qui remonteraient à une forme *ʔanti en proto-sémitique.
  • La 3e personne du mortel est caractérisée par la consonne ŝ, inspirée là aussi de l’akkadien sū/sī «il/elle» et du P.I.E. *swe-/*sewos «soi-même» (ayant donné en français son, sa, etc.).
  • Les personnes du mortel sont caractérisées par une voyelle a, que j’ai notée d’inspiration élamite dans mes petits papiers mais qui est surtout là pour s’opposer aux autres genres qui sont caractérisés par une voyelle i.
  • Au commun et au mortel de la 3e personne, le duel est caractérisé par un -r final et le pluriel par un -n final. Si on reprend la déclinaison des noms, on remarque qu’il s’agit ici des marques nominatives.
  • A l’immortel, tous les pronoms sont inspirés du P.I.E., notamment les désinences. Il est fastidieux de toutes les rappeler ici, mais notez que le pluriel est en que l’on retrouve en P.I.E. au pluriel dans la désinence des pronoms. On retrouve évidemment le n à la première personne, le t à la deuxième et le ŝ à la troisième au pluriel.
  • Par dessus le tout, j’ai beaucoup été influencé par l’élamite qui a un système intéressant. J’y fais pas un lien direct, mais cela a beaucoup orienté mon travail.

Par ailleurs, la première personne singulier de l’immortel peut équivaloir en sens à la première personne pluriel du mortel. Cela a une valeur honorifique, réservé dans certains contextes, un peu comme le vouvoiement. L’idée, c’est que tous les mortels parlent d’une voix pour s’adresser à l’immortel, d’où le singulier immortel. Pour être tout à fait franc, cela vient corriger une erreur de traduction de ma part : j’ai traduit par erreur un pluriel mortel par un singulier immortel.

La déclinaison des pronoms

Et oui, c’est comme tout : les pronoms, ça se décline. Pas grand chose à dire, en réalité, si ce n’est que les formes données dans le tableau précédent peuvent être traités comme des radicaux basiques que l’on peut décliner en nombre, en genre et en cas. Si on combine donc le tableau des déclinaisons et le tableau des pronoms, on obtient celui-ci :

nominatif oblique génitif locatif directif aversif
commun 3.sg. ni nin niwúŝ niwu niwa niw
3.du. nir nírer niriĥ niri niráĥ níreŝ
3.pl. nin nínen niniĝ nini nináĥ níreŝ
mortel 1. na nan nawúŝ nawu nawa naw
2. ta tan tawúŝ tawu tawa taw
3.sg. ŝa ŝan ŝawúŝ ŝawu ŝawa ŝaw
3.du. ŝar ŝárel ŝariĥ ŝari ŝaráĥ ŝáreŝ
3.pl. ŝan ŝánon ŝaniĝ ŝani ŝanáĥ ŝáreŝ
immortel 1.sg. ini inin inunúŝ inyu inya iniŝ
1.du. mis mísel misiĥ misi misáĥ míreŝ
1.pl. inu ínon inuw inuwi inuwáĥ inúreŝ
2.sg. iti itin ituwúŝ ituwu itiwa itiŝ
2.du. tis tísel tisiĥ tisi tisáĥ tíreŝ
2.pl. iwu íwon iw iwi iwáĥ reŝ
3.sg. iĥi iĥin yúŝ yu ya ihiŝ
3.du. nidis nidísel nidisiĥ nidisu nidisáĥ nídreŝ
3.pl. iŝu íŝon iŝuwiĝ íŝo iŝáh iŝreŝ

Dans le tableau ci-haut, les voyelles accentuées sont indiquées au génitif et au directif pour les terminaisons en -úŝ et en -áĥ bien que d’ordinaire, l’on ne note pas l’accent final s’il est attendu à cette position. C’est dû au fait que ces formes peuvent admettre un -e final, comme il l’avait déjà été expliqué pus haut.

Ce tableau n’est pas exempt d’exceptions. Par exemple, vous noterez tous les -w- soulignés dans le tableau qui servent de voyelle intercalaire entre le radical et la terminaison. C’est quelque chose d’assez banal, en réalité : le mot lu forme son radical en lu(w)- aussi si l’on cherche un point de comparaison dans le lexique, on trouve la forme oblique plurielle lúwon «mortels, humains» dans la série. La présence d’un -w- est souvent nécessaire pour les radicaux monosyllabique terminant par une voyelle, notamment le u, c’est-à-dire de forme CV-/Cu- pour les connaisseurs. Ce n’est en revanche pas toujours systématique, et la présence ou non de ce -w- explique beaucoup d’exceptions du tableau.

On notera toute une série de véritables irrégularités, ici en jaune sur fond encadré un peu plus foncé. On en compte quand même 21, ce n’est pas rien. Cependant, toutes sont assez facilement explicables. Prenons le tableau de gauche à droite, puis de haut en bas, en commençant par le commun et le mortel :

  • à l’aversif pluriel commun tout d’abord, la forme níreŝ est en exception en cela qu’elle ne reprend pas le radical nin. Si vous vous souvenez, l’aversif duel et pluriel sont confondus, ceci explique cela. L’aversif pluriel est donc formé avec le pronom duel décliné à l’aversif, nir > níreŝ.
  • à l’aversif pluriel mortel, c’est la même logique, constatez par vous même la symétrie avec le commun sur ce point précis.

Désormais, concernant l’immortel qui admet pas mal d’irrégularités. Tout d’abord, la première personne :

  • On croise plusieurs exceptions : inunúŝ au génitif là où on attend *iniwúŝ, inyu au locatif là où on attend *iniwu ou *iniu, inya au directif là où on attend *iniwa ou *inia. Prenons-les dans l’ordre : inuwúŝ a vu son i muter en u à l’intérieur du mot afin de faciliter sa prononciation, c’est ce qu’on appelle une assimilation progressive. La présence du -n- à la place du -w- est tiré du radical oblique, pour contraster avec la forme avec le -w- en inuwúŝ existe aussi d’ailleurs et qui est plutôt réservé au sens honorifique, au «vouvoiement» des mortels. J’en ai parlé plus haut, déjà. Les formes inyu et inya témoigne d’une mutation i > y ,appelée synérèse, après une consonne et avant une voyelle, et ce afin d’éviter le hiatus (prononciation de deux voyelles séparément alors qu’elles se suivent). En principe un -w- intercalaire aurait pu régler ce problème, mais la mutation de i en y est assez courante et l’on trouve pas mal de radicaux qui alternent -iw- et -yu-, décomposés en -i-u- où c’est tantôt l’un, tantôt l’autre voyelle qui mute en approximante ; en principe, i > y intervient surtout après une sonnante, c’est-à-dire n, m, r, l. Par exemple, niwas «foi, croyance» dérive du verbe nyu-a «croire, avoir la foi» qui admet deux radicaux, à savoir nyu- et niw-. Cette alternance est inspiré du Proto-Indo-Européen, qui voit ses i et u être syllabiques (voyelles) ou non-syllabiques (consonnes approximantes) en fonction de la place de l’accent et de la flexion. D’ailleurs, nyu-a est dérivé du P.I.E. neu̯- «appeler, invoquer» ayant donné l’anglais need notamment.
  • à l’immortel de la première personne duelle/plurielle, concernant l’aversif, nous avons mírês là où on attend *mísreŝ par simple évolution phonétique VsrV > VrV (la séquence -sr- entre deux voyelles a été réduite en -r-), et inúreŝ possède une terminaison marquée comme duelle alors qu’il s’agit d’un pronom pluriel.

À la seconde personne de l’immortel désormais, qui a quelques similitudes :

  • la plus grosse similitude concerne le singulier du génitif, la forme ituwúŝ plutôt que *itiwúŝ, avec l’assimilation là aussi du i en u. L’explication est la même que pour la première personne.
  • contrairement à la première personne, en revanche, cette assimilation est étendue au locatif, qui témoigne d’un -w- intercalaire. En effet, on trouve *itiwu > ituwu plutôt qu’une forme *ityu car la mutation i > y intervient presque toujours après une résonante, comme il l’était expliqué plus haut. Si telle mutation n’est pas possible, et ce afin d’éviter le hiatus -iu-, le -w- intercalaire est de rigueur, et donc l’assimilation intervient parce que la séquence -iwu- est plus compliquée à prononcer que la séquence -uwu-.
  • à la seconde personne du duel à l’aversif, nous avons tírês et non *tísreŝ. L’explication est identique à celle de la première personne donnée plus haut.
  • au pluriel, nous avons toute une série d’irrégularité. Au génitif d’abord, la forme attendue *iwuwiĝ donne iwiĝ, soit par syncope ou aphérèse avec *iwuwiĝ > iwiĝ, soit par coalescence avec *iwuiĝ > iwiĝ. Dans le premier cas, ce serait similaire au grec ἀμφιφορεύς|amphiphoreús > ἀμφορεύς|amphoreús «amphore». Ce principe se retrouve au locatif et au directif : on en dégage alors un radical raccourci en iw-. À l’aversif, le radical change en passant de iw- à yu-, selon l’alternance décrite plus haut. Cette alternance est due à la place de l’accent.

À la troisième personne de l’immortel :

  • Pour le singulier, que ce soit au génitif, au locatif et au directif, le radical iĥi mute en iĥy- par synérèse avant une voyelle, d’où les formes iĥyúŝ, iĥyu, iĥya.
  • Au duel aversif, nidis devient nídreŝ au lieu de *nidísreŝ. On peut supposer une syncope de la syllabe du milieu.
  • Au pluriel locatif, directif et aversif, le radical devient iŝ-, avec accent sur le i au locatif d’ailleurs, d’où la forme íŝo. Je ne me souviens plus pourquoi telle forme honnêtement, mais ça le fait bien je trouve.

Ce qui revient souvent dans la série, ce sont les pronoms au génitif. Ainsi, on trouve par exemple la phrase kita inunúŝ «(c’est) ma cause». Littéralement, la phrase signifie «cause – à moi», où ce «à moi» correspond une forme génitive : inunúŝ, dérivée de la première personne de l’immortel singulier ini. On croise également la forme inuwúŝ dans la phrase ga(un) inuwúŝ ŝamit «tu entends notre voix», avec pour sens «à nous, notre» dans cette incantation des mortels déstinée à Satan, c’est donc un pronom singulier mortel qui équivaut en sens à un pluriel mortel. On trouve même un pronom au locatif dans la phrase tawu nyutuwíĥ «je crois en toi», littéralement «dans toi – je crois», où «dans toi» correspond au locatif du pronom mortel singulier de la 2e personne ta.

Par ailleurs, les formes du génitif inunúŝ, inuwúŝ et ituwúŝ, qui existent en forme longue inunúŝe, inuwúŝe et ituwúŝe admettent des formes abrégées inwúŝ et itwúŝ.

Le verbe et sa conjugaison

On va désormais parler du verbe en tant que tel, et c’est finalement la partie la moins complexe en termes de morphologie, bien moins que les substantifs ou les pronoms.

Pour commencer, il est important de comprendre comment est anatomiquement constitué un verbe en azazilúŝ. Il est en effet essentiel de savoir que tout verbe est effet constitué d’un radical et d’un thème, qui est une voyelle séparée graphiquement par un tiret à l’infinitif. Par exemple, le verbe «être» se dit hiŝ-i,hiŝ- est le radical issu P.I.E. h₁es- «être» et -i le thème. Celui-ci est assez important, puisqu’on le retrouve dans les pronoms agglutinés. Par exemple, híŝen «c’est» est composé de hiŝ- (le radical), de -i- (le thème) et de ‘-n (la forme alternative de ‘-ne, qui est le pronom). Ainsi, on obtient hiŝin > híŝen, la voyelle thématique n’étant jamais accentuée.

Si vous vous demandez pourquoi ‘-n est la forme alternative de ‘-ne, c’est tout à fait lié à l’accent : dans ce cas précis, le pronom agglutiné ‘-ne possède une voyelle finale qui ne peut pas être accentuée, car finissant en -e, et qui impose à l’accent d’être situé sur la syllabe précédente. Cependant, cette syllabe en question comporte dans ce cas précis le thème qui est obligatoire pour respecter une structure CV(C#) sur toutes les syllabes du verbe, c’est-à-dire une structure où chaque syllabe est composée d’une consonne et d’une voyelle uniquement, avec éventuellement une consonne à la fin du mot pour boucler le tout : hiŝ- + -ne ne respecte pas ce modèle qui serait ici CVC+CV, alors que le thème résout ce problème puisque hiŝ- + -i- + -ne est du type CVC+V+CV, ce qui nous donne CVCVCV. De fait, l’accent est forcément sur la dernière voyelle du radical, qui est dans hiŝ- la seule du mot : on obtient donc *híŝ-i-ne, forme composée de trois syllabes dont la longueur est réduite à deux par chute de la dernière voyelle qui ne compromet pas la structure du mot ; en effet, CVCVC est une structure possible, que l’on découpe en deux syllabes CV+CVC, la dernière syllabe ayant une consonne finale qui est tout à fait acceptable. La chute du thème, en revanche, n’aurait pas été permise puisque cela nous aurait donné une structure CVC+CV (*híŝ-ne). Bref : on obtient donc *híŝ-i-n, dont le i final devient e à cause de la position de l’accent. De fait, et pour tout ce que l’on vient de décrire, ce phénomène n’apparait qu’avec le pronom agglutiné -‘ne puisqu’il est le seul à avoir une voyelle finale, et n’intervient que lorsque le radical se termine par une consonne : le verbe du-i «dire, annoncer», tiré du sumérien du11 «annoncer, décréter», devient régulièrement dúne «cela dit, cela annonce».

Parfois, la version raccourcie ‘-n est précédée d’une consonne intercalaire -w-, on obtient donc une nouvelle forme ‘-wen. Cette forme est considérée comme nouvelle et emphatique, c’est-à-dire qu’elle sert à insister.

Pour la conjugaison, tout passe par des affixes, c’est-à-dire par des particules que l’on colle avant ou après le radical. Il en existe un petit nombre en azazilúŝ, mais chacun a un seul et unique rôle qui peut désigner un mode, une voix ou un temps.

Les préfixes modaux : de la négation à l’interrogation

Tous les modes sont notés par des préfixes : leurs sens sont très larges, ils peuvent aussi bien désigner la négation que l’impératif ou l’interrogatif. Ils peuvent se cumuler, aussi : ce système est inspiré en partie du basque. Ci-dessous, vous trouverez les six préfixes modaux par ordre d’apparition dans un mot lorsqu’ils se cumulent. Ils seront ensuite détaillés.

modes

négatif

affirmatif

cohortatif impératif factitif interrogatif

préfixe

nu-

na-

ga-

ru-

vra-

gu-

exemple

nuhiŝ-

«ne pas être»

nahiŝ-

«être vraiment»

gahiŝ-

«laisser être»

ruhiŝ-

«qu’il soit»

vrahiŝ-

«faire être, rendre»

guhiŝ-

«être?»

Maintenant, il est temps de l’expliquer plus en détails :

  • le nu- négatif est très clairement inspiré des langues indo-européennes où la consonne nasale est très courante pour former la négation, comme on peut le voir avec le latin non, l’allemand nicht, le tchèque ne-, etc. Tout cela émane d’une forme *ne- en Proto-Indo-Européen. Pour la voyelle, j’ai choisi le u qui est en arrière de la bouche et qui est plus fermé, j’associais cela à moins d’enthousiasme et métaphoriquement au fait d’être fermé à quelque chose. Rien de très linguistiquement argumentable, donc. Il apparait en première position de la liste des préfixes, puisque je le considère comme le dernier élément à avoir fusionné avec le verbe dans l’histoire de la langue.
  • le na- est un préfixe dit affirmatif, c’est un joli nom pour dire qu’il sert à insister sur l’action verbale, ce qui suppose qu’elle ait forcément lieu. Cette forme par essence est incompatible avec la négation, d’où la forme très similaire. Ce n’est pas un hasard : dérivé de nu-, na-comporte une voyelle a qui se prononce la bouche bien ouverte, et j’ai associé cela avec le consentement, la joie ou l’exagération. Là encore, rien qui soit linguistiquement justifié donc.
  • au départ, pour ce ga-, je m’étais inspiré de l’hébreu et je voulais mettre dans la langue un mode du cohortatif, qui permet d’exprimer une volonté ou un engagement. Puis, j’ai pris le contrepied inverse et j’y ai mis quelque chose que j’appelle personnellement factitif passif, mais que l’on appellerait plutôt causatif passif (c’est en tout cas comme cela que je l’ai trouvé dans les grammaires du japonais où ce mode existe aussi), même s’il existe un lien puisque certains cohortatifs en hébreu sont traduits par let en anglais qui a aussi un sens causatif passif. Il s’agit, comme en français, d’exprimer une action où l’on est donc passif, que ce soit simple spectateur ou alors qu’on la subisse par contrainte. en français, le verbe laisser forme ce genre d’énoncés : il m’a laissé manger sous-entend que il consent sans s’opposer à l’action, et donc qu’il en est simple spectateur. Idem, la phrase il m’a laissé mourir sous-entend la passivité de il face à une action où il aurait justement surement dû agir.
    En revanche, si l’on prend des exemples à la première ou deuxième personne, on peut mieux rendre cette idée de contrainte que l’on retrouve en azazilúŝ : la phrase gaŝamún, formé à partir du verbe ŝam-u «entendre», se traduit aussi bien par «je laisse entendre» que «je force à entendre, je le force à entendre» puisqu’il y a bien l’idée que l’interlocuteur n’a rien demandé et s’est retrouvé à subir une action malgré lui. Cette idée de contrainte est pas totale, puisque ce mode ne saurait désigner une action physique que l’on ferait subir à qui que ce soit.
    Il existe un sens causatif aussi à ce mode, c’est-à-dire que l’on se retrouve à faire une action plutôt que la subir. C’est le cas avec le verbe ŝam-u «entendre» : la phrase (nan) gaŝamaŝ sera littéralement traduite par «(à moi) il laisse entendre» mais aussi par «je l’écoute». Les verbes de perception traduits par entendre, sentir au toucher, voir ont souvent ce genre de construction pour traduire un sens actif : écouter, toucher, regarder. Concernant la forme, sur le pourquoi du comment du ga et d’où il vient, c’est purement tiré de mon imagination.
  • l’impératif, vous savez normalement tous ce dont il s’agit et je ne ressens donc pas le besoin de m’étendre sur son rôle ou sa portée ici. Concernant la forme ru-, elle est là aussi purement arbitraire.
  • la forme vra- forme le factitif. C’est le pendant du faux cohortatif décrit plus haut, mais au sens actif : on force quelqu’un à faire quelque chose. Dans ce cas, il se confond parfois avec sa version passive en ga- : aussi bien gaŝamún «je laisse entendre» que vraŝamún «je fais entendre» peuvent se traduire par «je force à entendre, je le force à entendre». Dans ce cas, vra- a toujours un sens plus fort et plus concret.
  • concernant gu- pour l’interrogatif, pas besoin de s’étendre là non plus : on forme une question avec ce préfixe. J’ai pas eu spécifiquement d’idée concernant sa formation, mais j’y voyais dans ma tête un lien avec le clitique gi «celui-là» qui sert de déterminant.

Dans la série, on trouve une forme négative à valeur d’impératif, sans toutefois avoir recours à ce mode : nukungít «ne doutes plus, tu ne douteras plus» basé sur le verbe kung-i «douter, remettre en cause, questionner», lui-même inspiré du Proto-Indo-Européen ḱonk- «douter».

On trouve de nombreux impératifs purs. On a la forme rudarát «conduis, guide» dans la phrase aĥ ŝutugá barú rudarát «ainsi tu (les) conduiras dans les bois», rudarát étant basé sur le verbe dar-i «donner, conduire, assister, aider» dérivé du sumérien da-ri «conduire un animal, aider un enfant/une veuve». On a également guĝiniŝar «franchissez» composé du gu- impératif, du verbe gin-i «aller, se déplacer» inspiré du sumérien ĝen «s’en aller, venir, aller», et -ŝar le pronom duel mortel de la première personne ; cette forme n’est pas canonique car guĝiniŝan aurait été plus juste, car il aurait dû s’agit d’un pluriel. Pour rationaliser cela, disons que le duel et le pluriel se confondent relativement souvent lorsqu’ils ne sont pas identiques !

On trouve par ailleurs un factitif en la forme de vrani-i «faire respecter», basé sur ni-i «respecter, défendre» qui est inspiré du sumérien ni₂ que l’on retrouve dans des mots liés au respect, à la crainte et au témoignage.

L’interfixe de la voix médio-passive

Avant tout chose, on entend par voix les façons d’exprimer l’action faite par le verbe. En français, on en retient souvent deux : une voix active, qui correspond à la forme basique du verbe (le chat mange la souris) et une voix passive (la souris est mangée par le chat).

Il existe aussi en azazilúŝ deux voix, qui recoupe les mêmes catégories qu’en français : une voix active, donc, et une voix médio-passive qui note aussi bien une action passive qu’une action réciproque ou réfléchie. L’actif est comme en français ce qui correspond à la forme basique du verbe, alors que le médio-passif est noté par l’interfixe suivant :

voix

médio-passif

préfixe

-tu-

exemple

hiŝtu

«avoir été, s’être»

Comme il s’agit d’un interfixe, cela sous-entend qu’il se place avant tout suffixe ou pronom agglutiné. Son origine est liée au suffixe *-tós du Proto-Indo-Européen qui sert à former des participes passés, d’où dérive le *-tas en baltoslave comme dans bitъ «mordu», le -τός|-tós grec comme dans ἀκουστός|akoustós «connu, écoutable», le tás/-dás indo-aryen, le -tus latin comme dans amatus «aimé».

Pour donner un exemple tiré de la série, rutitúwen «qu’il nous le soit fait» est composé comme suit : ru-ti-tú-(w)en.

  • L’ensemble est basé sur l’infinitif ti-i «faire, exécuter, agir», dont le radical est tiré du P.I.E. *dʰeh₁– «faire, mettre, placer».
  • ru- est le préfixe impératif, ruti- peut se traduire par «que l’on fasse»
  • -tú- est l’interfixe médio-passif, on obtient donc rutitu- «qu’il soit fait»
  • -(w)en est le pronom commun de la 3e personne du singulier sous sa forme conjointe, rutitúwen veut donc dire «que cela soit fait».

Notons que rutitúwen est une forme concurrente de rutitúne, basée sur la version pleine du pronom conjoint ‘-ne. J’ai déjà abordé ce cas de forme concurrenquand je parlais des pronoms. Si la forme conjointe ´-n, rend obligatoire l’utilisation d’une consonne intercalaire -w- car -tu- est un interfixe qui ne peut pas se retrouver en dernière syllabe, la situation peut être analysée différemment ici. Ce n’est pas précisé plus haut, mais rutitúwen est une forme entendue dans la série, dans une expression qui pourrait être perçue comme figée et qui comporte une rime : kú hiŝ-í yáwen, nibida rutitúwen, que l’on pourrait traduire par «que l’on nous donne ce qui nous est dû» ou par «que l’on agisse ensemble pour rétablir l’ordre», littéralement «ce qui doit être, qu’il (nous) le soit fait ensemble». Si vous vous posez la question de l’existence d’usages concurrents dans la langue, qui apporte de la complexité fatalement, vous voyez ici en quoi c’est pratique afin de pouvoir calibrer la longueur d’un mot ou la rime de celui-ci.

Dans la série, plusieurs formes médio-passives ont été proposées comme traduction sans néanmoins être retenues. C’est le cas pour traduire «oui» notamment, pour lequel j’ai proposé hiŝtun «il est ainsi» soit littéralement «il s’est», ou encore taĥtúwen/taĥtun «il a été fait».

Il existe cependant un médio-passif impératif en la forme de nyutuwíĥ «il est cru». La phrase entière, tawu nyutuwíĥ «il est cru en toi par l’immortel», vient traduire la phrase «j’ai foi en toi» que m’avait donné le réalisateur. Sa décomposition et explication est plus fournie dans l’article focalisé sur les traductions des dialogues.

Les suffixes de temps

Lorsque l’on pense à la conjugaison, on pense surtout aux temps : le passé, le futur, etc… En français, il en existe pas mal d’ailleurs : le passé composé, l’imparfait, le futur proche, le futur simple, le plus-que-parfait…

En azazilúŝ, il en existe bien moins. En fait, on comptait le présent qui est non-marqué car directement formé sur le radical (comme dans pas mal de langues d’ailleurs), on en compte quatre : le passé proche qui correspond en français au passé composé, le passé lointain qui correspond en français à l’imparfait, au passé simple et au plus que parfait, et le futur (proche) qui note une action qui va bientôt se réaliser et qui correspond au même temps en français. hormis pour le présent qui n’est pas marqué, comme on vient tout juste de le dire, tout se passe donc par des suffixes. Le thème verbal peut servir de support afin d’obtenir une syllabification plus canonique, typiquement CV.CV.CV (trois syllabes composées chacunes d’une consonne et d’une voyelle).

temps

présent

passé proche

passé lointain futur proche

préfixe


-g(w)i

-zi

-vi

exemple

hiŝ(i)

«est»

hiŝigi

«a été»

hiŝizi

«était, fut»

hiŝivi

«sera bientôt, va être»

Une petite explication s’impose pour quelques-unes des informations ici présentées :

  • Pour commencer vous noterez que le suffixe du passé proche -gi peut aussi bien être rendu par -gwi. Alors, dans quelle condition utiliser l’un ou l’autre ? Je n’en sais rien, à vrai dire, je n’ai jamais utiliser la forme -gwi qui est cependant restée dans le grammaire de l’époque où j’envisageais avoir un son gw indépendant dans la langue, plus présicément un phonème /gʷ/. Si j’ai voulu le conserver en archaïsme, force est de constater que je ne l’ai jamais vraiment utilisé.
  • Le passé lointain est en français celui qui équivaut au passé simple ou à l’imparfait, il marque donc une rupture avec le présent. La forme hiŝizi, composée de hiŝ-i et du suffixe -zi, signifie alors aussi bien «était, fut» mais aussi «avait été» s’il marque une antériorité par rapport à une forme verbale au passé proche.
  • Le futur noté par -vi est toujours un futur proche. Il est souvent substitué par le présent, comme en français dans la phrase demain, on voit mamie. Ainsi, le futur en qualité de temps verbal comporte une notion d’insistance.

Les formes archaïques et les formes nouvelles

Pour faire simple, ici, nous allons traiter des aspects non-canoniques de la langue dans sa grammaire synchronique. Comme le français possède des formes étranges qui n’ont cours que dans les bouquins de grammaire ou qui n’ont cours que dans la rue, l’azazilúŝ a des formes viellies et nouvelles. En réalité, c’est le cas de toutes les langues.

Très tôt, dans la grammaire de l’azazilúŝ, il s’est posé la question de savoir si je devais mettre un participe présent ou un gérondif, comme cela existe par ailleurs en français (étant est un participe présent, en étant est un gérondif). Puis, j’ai coupé la poire en deux : j’ai fait un lien avec le locatif qui n’est pas un temps ni un mode, mais un cas grammatical. Ainsi, en azazilúŝ, le locatif est au nom ce que le gérondif est au verbe : cela désigne le fait d’être métaphoriquement quelque part, arrêté, au moment présent par rapport à notre référentiel. Ce parallèle a rapidement été classé comme un archaïsme, j’imagine dans ma tête que cela ait pu remonter à une époque où la frontière entre verbe et nom était plus poreuse. Ainsi, le participe présent/gérondif se forme archaïquement avec un en azazilúŝ (hiŝú «(en) étant»).

Parmi les innovations, je suis surtout parti sur des formes raccourcies au medio-passif qui peuvent faire quelques kilomètres de long lorsque l’on conjugue à certaines personnes. Voyez plutôt : nibida-i «réunir» devient nibidatuvímes «nous serons réunis, notre couple sera réuni» lorsque conjugué au medio-passif du futur de la 1e pers. du duel immortel. Rajoutez une question ou une négation, et on atteint un seuil critique de syllabes : nugunibidatuvímes «ne serons-nous pas réunis?». Certes, c’est inhérent au fonctionnement même de la langue, mais j’ai pensé que les formes des temps pourraient s’associer au medio-passif pour gagner de la place dans la langue parlée : -tu-g(w)i, -tu-zi et -tu-vi deviendraient alors -gu, -zu et -vu. On y trouve alors la consonne qui marque le temps, et la voyelle qui marque la voix.

Comment faire un conditionnel ?

Celui-ci, comme je n’ai pas eu à le mettre dans la série, il est complètement passé à la trappe. En revanche, je vous livre ici les quelques pistes que j’avais explorées au début puis quand je me suis rendu compte de son inexistance.

Tout d’abord, on peut très bien faire quelque chose qui a valeur de conditionnel mais qui en réalité n’en est pas un. On peut explorer d’autres constructions, comme le subjonctif encore assez présent en italien ou le conjonctif que l’on trouve en allemand. Mais à priori, j’étais parti sur quelque chose de plus simple : l’utilisation des préfixes du cohortatif, de l’interrogatif ou alors la simple utilisation d’un adverbe.

Cela dit, ce qui serait le plus à priviligier, c’est des phrases classiques qui ont valeur de conditionnel de par leur construction. Pour cela, l’inspiration est mon idio/géolecte, c’est-à-dire ma langue à moi et celle de ma région : il n’est pas rare d’avoir ce genre de construction, comme dans pas mal d’endroits de la francophonie par ailleurs. Typiquement, une phrase comme (si) tu viens, tu manges (ou pas)? qui est totalement hypothétique et qui serait rendue littérairement par si tu venais, tu mangerais?

Le système numéral

Accrochez-vous, car j’ai pas donné dans le facile pour le système numéral que j’ai réservé pour la fin. Car il se trouve que l’azazilúŝ est une base 20. Sans attendre, un tableau récapitulatif des formes :

chiffres des unités

1 mus 6 musus 11 mir 16 mirsu
2 dus 7 dusus 12 dir 17 dirsu
3 tyus 8 tusus 13 tir 18 tirsu
4 kudus 9 kusus 14 kir 19 kirsu
5 (i)gir
ŝus
10 (i)gzus 15 (a)gas

Je pense que vous saurez faire vous-même l’anatomie des pronoms : une base20 qui fait le parallèle avec une base 5, puisqu’on trouve 5 radicaux clés à savoir mus, dus, tyus, kusus et (i)gis eux-mêmes dérivés pour former 6 à 10 en rajoutant ŝus «zéro, cinq», dérivés au duel pour obtenir 11 à 15, qui sont eux-même redérivés en rajoutant ŝus pour obtenir 16 à 20.

Si ŝus veut à la fois dire 0 et 5, c’est lié à son étymologie, car ŝus vient du sumérien ŝu «main». Fermée, elle indique l’absence, ouverte elle indique 5 comme le nombre de doigts de la main déployée. Concernant l’étymologie des autres formes, elles viennent du Proto-Indo-Européen hormis (i)gis qui est une création à priori inspirée des autres formes.

Dans la série, on trouve plusieurs formes complexes. Il m’a fallu traduire 160, 144.000 et 900, qui font respectivement chacun en base 80(20), 18.000(20), 250(20). Ses formes apparaissent dans la série respectivement en tususdiŝúŝ (ici au génitif), tirsutiŝún (ici à l’oblique) et dusvigisdiŝún (à l’oblique aussi). Il se trouve que l’on peut en déduire les marqueurs des dizaines, des centaines et des milliers, à savoir respectivement -di(ŝ)-, -vi(ŝ)- et -ti(ŝ)-. Voyez plutôt le tableau ci-dessous :

tusus diŝ
8 x10
=80(20) = 160(10)
tirsu tiŝ
18 x1000
=180.000(20) = 144.000(10)
dus vi gis diŝ
2 x100 5 x10
=250(20) = 900(10)

Conclusion ?

Ça fait pas mal, quoique c’est assez concis et qu’il manque pas mal d’aspects qui seraient abordés dans une grammaire complète et exhaustive. Je me suis pas du tout étendu sur la syntaxe, j’ai pas du tout abordé le comparatif ou le superlatif non plus par exemple. Je fais certes partie de ceux qui planifie absolument et qui tire l’essentiel du plaisir là-dedans, mais je n’ai pas poussé le vice au point de décrire dans les moindres détails tout ce qui n’allait jamais être utilisé.